Les Vaillantes > Note d’intention

Du camouflage au camouflet

Ces deux noms ont en commun leur étymologie et leur genre. Un nom masculin dont l’origine vient du terme Chault mouflet qui signifie fumée que l’on souffle au nez. Si la fumée épaisse sert à dissimuler dans le premier cas, elle est plutôt l’outil d’un affront dans le second. Les frontières entre le visible et l’invisible jouent et s’affrontent sur ce terrain étymologique. Dans ces termes, nous voyons volontiers les aspects vertueux de la dissimulation. Si nous pensons à l’ingénuité des artifices du monde sauvage, nous ne pouvons que nous incliner. Nous trouvons volontiers des excuses à la pratique du camouflage, qui dresse toujours haut et fort la carte de la protection.

Et pourtant ?

Ce qui se pose pour une femme, indépendamment de la culture et de l’époque dans laquelle elle évolue, c’est encore de savoir comment elle doit se positionner entre camouflage et camouflet. Dans un cas comme dans l’autre elle risque de se perdre, soit aux yeux de la société, soit à ses propres yeux.

Préfère-t-elle se dissimuler pour avoir la paix ? La fumée épaisse qui l’entoure lui est-elle imposée ? Décide-t-elle parfois de tenter de la dissiper malgré les conséquences ?

Se trouve-t-elle dans la position de celle qui aux yeux de la société se comporte de façon offensante ? Ou bien est-elle celle qui est mortifiée par son entourage ?

Tout cela à la fois ? Le fantôme de Virginia Woolf et d’Une chambre à soi rôde.

Pour utiliser deux expressions figurées et familières, les femmes ont le choix entre «Se fondre dans le décor» ou «Faire tâche». Les alternatives sont encore aujourd’hui complexes à trouver, car les faits et gestes des femmes sont toujours l’objet d’une focalisation souvent avilissante.

Dans ce projet, Les Vaillantes, des jeunes filles ne se résolvent pas à se fondre dans le tableau qu’il leur est proposé. Et c’est leur parole que nous aimerions porter, en particulier auprès des plus jeunes qui œuvrent pour la société à venir.

Le premier des camouflets est celui qui consiste à classifier les humains. Il semble constitutif de notre genre, cependant rien ne nous empêche de souffler encore et toujours, et à plusieurs, pour que la fumée se disperse.

Notes sur la mise en scène

Les trois monologues imaginés par Jeanne Benameur ont comme point commun l’insurrection silencieuse de trois jeunes filles. Cependant, celles-ci évoluent dans des contextes familiaux et sociétaux différents. Toutes les trois sont en prise avec ce décor qui influe sur leur corps et devient une gangue qui les empêche d’être libre, d’envisager leur vie comme bon leur semble.
De ces monologues, la compagnie souhaite monter une forme théâtrale et musicale. Chaque personnage de jeune fille est porté par une comédienne quand l’autre devient une orne-menteuse, un personnage à la croisée du technicien de plateau et du Deus Ex Machina qui tel les mains du décor influera sur le corps du personnage.

Contribuant tour à tour à planter le décor ou à suggérer des voies d’émancipation, la musique, créée au plateau, joue elle aussi un rôle d’orne-menteuse.

Nous souhaitons mettre en valeur ces trois monologues de jeunes filles en nous focalisant sur le fait qu’elles subissent des situations sur lesquelles elles n’ont que très peu de prise.

Il s’agit de symboliser leur pensée et leur évolution vis-à-vis de leur entourage par un corps à corps entre leur corps et le décor. Tout au long des récits, se jouent des trajectoires esthétiques contrariées comme l’est la protection de leur seul espace de liberté, leur pensée.

La ligne directrice de la mise en scène et de la scénographie repose donc sur le rapport que chaque jeune fille entretiendrait avec son «décor» c’est-à-dire son époque, sa culture, sa situation familiale, ses désirs, etc.

Le changement de décor nécessaire pour passer d’un récit à l’autre se fera à vue. La musique, née de la perception des histoires et de leur contenu par le musicien au plateau, agira comme un fil conducteur pour glisser d’un monologue à l’autre pendant ces intermèdes.

La forme spectacle sera de facture simple, pensée pour des salles de théâtre et des lieux atypiques qui ne sont pas équipés techniquement, tels que les collèges, les lycées ou les médiathèques.